Texte de François Schiettekatte, Saint-Laurent, Québec Des gens qui pensent s’acheter bientôt une auto électrique nous disent souvent que celle-ci servira principalement pour les déplacements de la vie de tous les jours, et qu’ils conserveront leur VUS ou autre fourgonnette pour les voyages et les sorties la fin de semaine. Ce récit se veut une preuve de plus qu’on peut aller presqu’au bout du monde en auto électrique sans trop de contrainte, avec juste un peu de planification. Et quel voyage fantastique! Nous voulions depuis longtemps aller à Terre-Neuve. Le projet d’il y a quelques années avait avorté en raison de cours d’été surprise! Par ailleurs, la Basse Côte-Nord nous attirait aussi, notamment les Iles Mingan et les villages comme Natashquan et Harrington Harbour, alias Ste-Marie-la-Mauderne! Et puis nous n’aimons pas beaucoup les voyages aller-retour, ce qu’impose la traversée vers Port-aux-Basques à Terre-Neuve; on aime mieux les boucles.
L’idée a donc germée de nous lancer dans ce grand « tour du Golfe du Saint-Laurent » : de Montréal, faire la Côte-Nord jusqu’à Natashquan, puis prendre le bateau (avec l’auto) jusqu’à Blanc Sablon, petite incursion au Labrador, ensuite traversier vers Terre-Neuve, visite d’un bout à l’autre incluant Saint-Pierre-et-Miquelon, et retour sur le continent par le traversier d’Argentia à Sydney, NS. Finalement, petits détours par Halifax, l’Ile du Prince-Édouard et Edmundston, et retour à Montréal. Tout ça en quatre semaines dans notre bonne vieille voiture électrique qui a accumulé plus de 240 000 km au compteur! Il s’agit s’une Tesla Model S avec encore 385 km d’autonomie. Le trajet exigeait bien sûr une certaine planification, notamment grâce à PlugShare. Si pour les trajets Montréal-Natashquan, et Sydney-Montréal, il y a maintenant plusieurs bornes de recharge rapides disponibles (recharge complète en 40 à 90 min), ce n’était pas le cas à Terre-Neuve en 2019. Notons par ailleurs que, indépendamment d’une auto électrique, il vaut mieux réserver plusieurs mois à l’avance (genre avant février) une cabine sur le cargo mixte Bella-Desgagnés qui vous amène de Natashquan à Blanc Sablon, ainsi que les motels, hôtels, campings et traversiers à Terre-Neuve. En mars, certains endroits affichaient déjà complet. Nous avions notre matériel de camping pour certaines nuits. En effet, petit secret de voyageur en auto électrique: quand il n’y a pas de borne quelque part, on peut en général compter sur les prises 220V 50A pour VR dans les campings, ce qui dans notre cas nous permet une recharge complète en 8h, donc en une nuit, sans perte de temps pendant la journée. Alors le camping est tout indiqué dans les régions où il y a peu ou pas de bornes à proximité d’hôtels et motels. En cas de pluie, nous couchions à l’arrière de la voiture sur un matelas pneumatique, avec climatisation ou chauffage! Par mesure de précaution, nous avions apporté une jante et un pneu de secours, ce que nous n’avons pas habituellement avec nous. Heureusement, nous n’en avons pas eu besoin. Nous avions été avisé qu’il est interdit d’avoir du combustible avec nous ou dans l’auto à bord du Bella-Desgagnés, même en petite quantité. Nous avons donc troqué notre poêle de camping au propane pour une poêle électrique, bouilloire et grille-pain, et avons ainsi fait un voyage 100% électrique! En tout cas en ce qui concerne notre utilisation directe. Nous partîmes donc de Montréal un matin ensoleillé de juillet. Le premier jour, grâce aux recharges rapides, nous avons filé presque directement (500+ km) jusqu’au Camping Bon Désir de Grandes-Bergeronnes (passé Tadoussac), que nous avions particulièrement apprécié lors d’un précédent voyage. Nous y sommes restés deux nuits (sur un site disposant d’une prise 50 A), nous installant une journée complète au Cap Bon Désir et au Centre d’interprétation du milieu marin pour observer les baleines, sans beaucoup de succès. Mais ce n’était que partie remise, comme vous le lirez plus loin. Par hasard, au moment de notre passage au Centre d’interprétation, nous sommes tombés sur l’activité “Le Saint-Laurent en direct” où on suit des plongeuses caméra à l’épaule qui explorent en direct la falaise sous-marine devant le Cap, et répondent à nos questions. Étonnante diversité, couleurs incroyables, nous sommes encore émerveillés de ce que nous avons vu! À Grandes-Bergeronnes, ne pas manquer de faire un petit détour par la boulangerie artisanale “La p’tit cochonne”! Le lendemain, pleinement chargés en partant du camping, nous avons continué vers Baie Comeau en nous arrêtant entre autres voir les paysages magnifique de Ragueneau et de Pointe-aux-Outardes. (N’oubliez pas votre chasse-moustique!) Arrêt-recharge en allant manger (et boire!) à la Brasserie St-Pancrace de Baie-Comeau, et arrivée au phare de Pointe-des-Monts où nous avons dormi dans la maison attenante. À voir! La journée suivante étant particulièrement pluvieuse, nous n’avons fait qu’un arrêt “cinéma-recharge” à Sept-Îles, sans visites en route, puis nous nous sommes rendus le jour même directement à notre prochaine étape: Havre-Saint-Pierre, où nous avons dormi 3 nuits. Il ne faut surtout pas manquer de faire des excursions pour pouvoir apprécier les principales choses à voir. L’ile Quarry, en plus de ses rochers réputés, regorge d’une diversité de milieux écologiques surprenante. L’excursion vers l’Est nous a permis de voir baleines, phoques, fous de Bassan, pingouins, aigles à tête blanche et, évidemment, une centaine de macareux! Attention, ça brasse! Enfin, la route vers Natashquan, durant laquelle nous avons continué d’écouté les chansons de Vigneault que nous réécoutions depuis quelques jours. Quelle bonne idée ce fut, car ce village, en plus d’être magnifique (en particulier les Galets), est empreint de l’esprit des chansons de Vigneault. On y apprend que la Mariouche était la mère de Gilles, Marie, et Jack Monoloy est en fait John Maloney, un amérindien qu’elle avait fréquenté. Que St-Dilon était en fait Odilon Charbonneau et sa femme qui, n’ayant pas d’enfants, recevaient toute les samedis le village dans leur minuscule maison pour danser jusqu’aux petites heures: de véritables saints! Le fait de pouvoir mettre des visages (photos) sur tous ces personnages est quelque chose dont nous nous souviendrons longtemps! Cela concluait la première semaine de notre voyage. À Natashquan, pleinement chargés, notre voiture fut embarquée dans un conteneur à bord du Bella-Desgagnés, et nous avons bel et bien dès lors gagné notre cabine, très confortable. Alors que nous pensions avoir le temps de lire et nous reposer pendant les 40h que durent le périple jusqu’à Blanc Sablon, le voyage est ponctué par les arrêts de quelques heures dans tous les petits villages de la Basse Côte-Nord: Kegaska (village Innu), La Romaine (arrêt de nuit), Harrington Harbour (pas de rues, juste des trottoirs en bois, beaux points de vue à partir des collines environnantes, lieux de tournage de la Grande Séduction, pas pu faire de retrait à la caisse pop!), Tête-à-la-baleine (vue incroyable depuis la butte près du port, qui donne vraiment l’impression d’être loin de chez soi), La Tabatière, St-Augustin. Puis le matin de l’arrivée à Blanc Sablon, un iceberg à quelques centaines de mètre du bateau, et plein de baleines! De Blanc Sablon, une fois récupérée l’auto sans anicroche, nous nous sommes rendus à Red Bay, à 80 km dans le Labrador, un endroit où les Basques se sont installés pour chasser la baleine et en faire fondre la graisse dès 1540 (6 ans après le passage de Jacques Cartier!) Une baleine s’est aventurée dans la baie lors de notre passage. Beaux paysages sur place et en route. Notre autonomie ne nous permettait pas d’aller beaucoup plus loin vu l’absence de bornes dans ces contrés lointaines. (Goose Bay, prochain village d’importance, est à 600 km.) Retour à Blanc Sablon, donc, où nous sommes allés voir le blanc sablon et les rochers plats du côté Ouest du village, ainsi que plusieurs baleines. Le retard du traversier vers Terre-Neuve nous a donné l’occasion d’observer encore d’autres baleines, dont deux qui sont passées à quelques mètres de nous au bout du quai. C’est gros une baleine! L’une d’elles, une baleine à bosses, a même jeté un coup d’œil à mon épouse, qui en fut quelque peu remuée! On peut donc dire que non seulement nous avons dû voir au total près d’une centaine de baleines au cours de ce voyage (incluant celles observées par la suite à Terre-Neuve), mais on a même été vus par une baleine! Une fois traversés, ce soir-là, nous avons couché au motel de St. Barbe, NL. Nous commencions la partie de notre voyage qui requérait le plus de planification en termes de recharge, car il n’y avait, en 2019 dans toute la péninsule nord de Terre-Neuve ni bornes de recharge, ni camping offrant des branchement 240V 50A, 10 kW. Ce soir-là, donc, nous avons branché notre voiture dans une prise TT-30 (120V 30A, 2 kW) dans le Camping pour VR en face du motel. Ce branchement ne nous donnait que 11 km d’autonomie par heure de recharge. Quand même, en 14h, nous avons pu regagner l’énergie dépensée la veille pour faire l’aller-retour à Red Bay (160 km). Le lendemain, nous avons fait la route vers St. Antony (très belles falaises, quelques baleines, petite ville intéressante), puis nous nous sommes rendus à un camping réservé près de l’Anse-aux-Meadows. Cette fois, le voltage étant bas (109 V), nous n’avons obtenu que 130 km d’autonomie en 16h de recharge. À ce rythme, être arrivé presque à plat, il nous aurait fallu 48h pour recharger la voiture au complet! Mais nous étions partis de St. Barbe presque complètement chargés, et avions fait environ 200 km depuis le matin, alors avec les 130 km lentement accumulés cette nuit-là (au son du hurlement des loups!) nous étions en effet rechargés à près de 90%. Petite anecdote: la dame du camping n’avait jamais vu quelqu’un brancher son auto dans son camping, et probablement jamais vu d’auto électrique avant. Elle nous demande, quelque peu décontenancée: “Qu’est-ce que vous faites si vous manquez de courant?” En fait, il faut plus ou moins faire exprès pour manquer de courant en auto électrique, encore plus que pour manquer d’essence en auto ordinaire. En effet, la distance qu’on peut parcourir et le taux auquel baisse la batterie sont des informations affichées de façon assez précise, et si il est prévu d’arriver serré, on peut ralentir (ça consomme vraiment moins d’énergie) et s’organiser pour maintenir un coussin. En fait, dans ces occasions, il faut faire comme dans un marathon: partir lentement, quitte à accélérer à mesure qu’on approche de la fin et qu’on voit qu’on a assez d’énergie! Et si jamais le “pire se produit”, il y a de l’électricité partout, c’est juste très long de recharger une auto électrique dans une prise de courant. Mais ça ne nous est jamais arrivé, et à notre connaissance, c’est extrêmement rare. Le matin, jusqu’en milieu d’après-midi, visite du site de l’Anse-aux-Meadows, où les Vikings se sont installés il y a 1000 ans! Vaut le voyage. On ne voit que la forme des bâtiments originaux au sol, mais à côté, une reconstitution selon les méthodes de l’époque avec des acteurs personnifiant les vikings, puis les sentiers autour du site, et le centre d’interprétation, ont au total comblés nos attentes. Ensuite, retour vers St. Barbe pour recharger de la même façon que l’avant-veille. Et le lendemain, route vers Gros Morne, ou plus précisément Cow Head, où une auberge offre une borne de recharge de 220 V 80 A (18 kW, recharge complète en 4 à 5h). Il s’agit de la plus éloignée d’une série de bornes 5-6 bornes semblables et espacées régulièrement (100-200 km), souvent chez des concessionnaires Chevrolet, qui permettent de traverser l’ile par la route principale, dans la mesure où l’auto a la capacité de profiter de toute cette puissance de recharge. Pleinement rechargés, le lendemain, nous avons pu faire sans problème l’aller-retour jusqu’à TableLands, de l’autre côté du fjord (250 km aller-retour). Nous avons également fait un tour de bateau dans le fjord et vu quelques aigles à tête blanche et une baleine. Superbe vue sur le fjord de Western Brook mais le brouillard empêchait les excursions. Il est bon de prévoir du temps supplémentaire au cas où ce genre de situation survienne. Cela concluait la deuxième semaine de notre voyage. Le lendemain, longue journée de route (500 km) de Cow Head à Fogo Island, avec arrêt recharge à Dear Lake et Grand Falls, environ 2h au total. Séjour tout à fait inoubliable au Fogo Island Inn. Imaginez qu’un mur de votre chambre est une carte postale qui change au gré de l’heure et de la température. Le bâtiment et les rochers sur lesquels il est sis forment un ensemble spectaculaire. Notre seul regret est de ne pas y être resté plus longtemps. L’hôtel dispose d’une borne de recharge. Nous y sommes d’ailleurs parvenus avec seulement 10 km d’autonomie, notre arrivée la plus serrée du voyage. Après Fogo, Twillingate, puis Crow Head et ses falaises à couper le souffle. Ensuite la route vers Clarenville avec arrêt recharge/souper à Gander. Recharge complète à Clarenville durant la nuit, puis excursion au Cap Bonavista et à Elliston d’où nous avons pu observer des dizaines de baleines et au moins un milliers de macareux, dont quelques-uns (à Elliston) à quelques pieds de nous. Wow! Re-dodo et recharge de nuit à Clarenville, et en route pour Fortune, d’où part le traversier vers St-Pierre-et-Miquelon. Ils ne sont pas encore installés pour faire traverser les voitures, alors il faut laisser l’auto à Fortune. Ici s’est produit notre seul imprévu point-de-vu recharge. Nous avions convenu quelques mois à l’avance avec quelqu’un de stationner chez eux et laisser l’auto branchée dans leur prise de courant extérieure (110 V 15A, 1.2 kW, 40h pour recharger complètement la voiture, soit la durée de notre séjour à St-Pierre). Or la personne avait oublié et était en dehors de la ville. Nous avons pu heureusement nous rabattre sur le garage du village. Notre Plan B (car il vaut mieux toujours avoir un plan B, C, et D) était en fait, une fois revenus de St-Pierre, de nous rendre à Marystown à 60 km, et d’y passer la journée à nous recharger (30 km par heure de recharge), ce que nous n’avons heureusement pas eu besoin de faire. St-Pierre est intéressante. Il y a les Saint-pierrais, avec leur propre accent qui rappelle celui des Belges, qui sont calmes et pas stressés, et il y a les Français de la métropole, typiques. La plupart des maisons, très colorées, sont construites avec des matériaux de chez BMR, mais les rues, la signalisation, les prises électriques sont comme en France. Tout est fermé le dimanche et le soir, sauf quelques restos, alors il faut absolument réserver. On peut profiter du dimanche pour aller en excursion sur l’Ile aux marins ou dans les sentiers environnants. De retour à Fortune après 2 nuits à St-Pierre, nous avons filé jusqu’à St-John’s où il y a une bonne vingtaine de bornes de recharge. Ceci concluait notre 3e semaine. À St-John’s, il ne faut pas manquer de faire le tour des belles anciennes maisons de la ville et d’aller manger au pub irlandais The Duke of Duckworth. Et évidemment, il faut monter jusqu’à Signal Hill d’où on verra un paysage spectaculaire ponctué de quelques baleines, puis redescendre vers Quidi Vidi et sa brasserie célèbre pour sa bière à l’eau d’iceberg. Le lendemain, nous avons fait le tour de la péninsule d’Avalon, en commençant par Cape Spear/Cap d’Espoir, puis route vers Portugal Cove où il y a un site montrant des fossiles de formes de vie précambrienne. Le centre d’interprétation montre un moulage spectaculaire. Pour visiter le site lui-même, il n’y a qu’une excursion par jour et il faut réserver quelques jours d’avance. Le lendemain, de St-John, nous nous sommes rendus à Placentia, avons visité le Fort St-Louis, et sommes ensuite embarqué à bord du traversier d’Argentia vers North Sydney, NS. Nous avions déjà visité le Cap Breton un été précédent (toujours en auto électrique), alors après une recharge rapide à Baddeck (notre première depuis Baie-Comeau!) nous avons filé jusqu’à Halifax. À partir de là, nous pouvions revenir à Montréal en utilisant le réseau de Superchargeurs Tesla, mais c’est étalement facile grâce au réseau de chargeurs rapides de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et du Québec. Nous avons tout de même fait des arrêts d’une nuit à Charlottetown et Edmundston pour visiter des connaissances, puis retour à Montréal, après presque 4 semaines. Deux conclusions: i) faire le tour du Golfe du Saint-Laurent constitue un voyage exceptionnel, tant pour la beauté des paysages, de la flore, de la faune que “culturellement”, et ii) même si cela exige un peu de planification et des plans B et C, comme il y a de l’électricité partout, il est tout à fait possible de faire un voyage ben, ben loin en auto électrique sans véritables contraintes. On me dira qu’évidemment, on a une Tesla. Je répondrai que notre Tesla de 6 ans, 230 000 km au moment du voyage, a une autonomie de 385 km, équivalente à plusieurs autres modèles moins haut-de-gamme. Et par ailleurs, les sortes de prises auxquels on avait accès n’avaient rien de spécifiques aux Tesla, sauf en début et fin de voyage, mais dans ces dernières régions, des bornes rapides accessibles à toute auto électrique était de toute façon disponibles. Alors si vous pensez acheter une voiture électrique, n’hésitez pas à vous lancer complètement, et à vous débarrasser de votre voiture à essence, même pour les voyages au bout du monde!
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AuteursAlan Maignan & Archives
Janvier 2020
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