Depuis quelques mois au Québec a lieu un débat sur la loi Zéro Émission ainsi que sur sa réglementation. Un certain nombre de gens, d’organismes et de médias sont intervenus dans le dossier pour donner leur avis.
Dans une série de 4 textes, nous reviendrons donc sur les raisons qui démontrent qu’une telle loi est nécessaire. Si certains intervenants, par manque de vision ou de compétence, semblent vouloir réduire la discussion à une simple question d’argent, ce dossier est beaucoup large. Dans le but de dresser un portrait complet de la situation, des collaborateurs et moi l’aborderons à partir des 4 angles suivants:
1er texte – Les changements climatiques Les changements climatiques d’origine anthropique: On peut définir le phénomène des changements climatiques de la façon suivante : Il s’agit d’une modification du climat de la planète qui est attribuable aux émissions de GES engendrées par les activités humaines et qui altère la composition de son atmosphère. Cela occasionne une élévation du niveau des mers, des sécheresses et des inondations en nombres accrus ainsi que la multiplication à l’échelle régionale de manifestations climatiques extrêmes. Ces changements climatiques ont et auront de plus en plus d’effets désastreux sur les humains, les animaux et les végétaux. Selon les estimations faites par l’ONU l’an dernier, « Les déplacements liés aux changements climatiques ne sont plus une hypothèse, mais une réalité actuelle. Chaque année, en moyenne, depuis début 2008, les aléas soudains inhérents à certains phénomènes météorologiques, tels que les inondations, les tempêtes, les feux de forêt et les températures extrêmes, entraînent le déplacement de 21,5 millions de personnes » (1) Nous avons vu de tels déplacements un peu partout dans le monde… dont au USA et au Canada suite à des événements climatiques extrêmes (feux, inondations, ouragans, etc). La lutte contre les changements climatiques La plupart des pays de la planète (dont le Canada) ont signé l’Accord de Paris à la fin 2015, signifiant ainsi leur volonté de réduire leurs émissions de GES dans le but de tenter de restreindre la hausse de la température globale de la planète sous les 2 degrés Celsius. Ainsi, les pays ont convenu (2):
Tous s’entendent cependant pour dire que les mesures annoncées à ce jour seront insuffisantes pour limiter la hausse de la température à 2 degrés. Il faudra donc faire plus. Et le Québec dans tout ça ? Même si le Québec n’est pas un pays, l’Assemblée Nationale a adopté dans le passé des motions appuyant la lutte aux changements climatiques et faisant sienne l’atteinte des objectifs de réduction de GES du Protocole de Kyoto (3). Le gouvernement du Québec a par la suite annoncé qu’il comptait faire en sorte que, dans le cadre de la lutte aux changements climatiques, le Québec réduise ses émissions de GES de 20% en 2020 (4) et 37,5% en 2030 par rapport à ses émissions de 1990. Or, le Québec est en bonne voie de rater ces 2 objectifs tout comme il a raté l’objectif de réduction de GES du protocole de Kyoto. Pourquoi ? Réponse : le transport Le secteur où les émissions de GES au Québec sont les plus importantes est celui des transports, avec 41% des émissions totales en 2014. Les émissions de GES du secteur industriel arrivaient alors en 2e place, avec 31,4%. (5)
SAUF QUE pendant que le secteur industriel a vu ses émissions de GES baisser de 19,3% entre 1990 et 2014, les émissions de GES des transports augmentaient de 20,4% durant la même période.
Voici quelques chiffres sur le transport au Québec qui devraient faire réfléchir (6):
Est-ce que passer à un véhicule électrique réduit les GES ? La réponse est OUI. Selon une analyse comparative du cycle de vie des véhicules à essence VS les véhicules électriques au Québec faite par le CIRAIG en 2016 (7), la baisse de GES est d’environ 65% après 150,000 kilomètres et 80% après 300,000 km.
On parle donc d’une baisse très importante des GES.
Si on calcule le potentiel de réduction de GES qu’aura le transfert de 100,000 voitures à essence vers 100,000 voitures électriques, on obtient une réduction de 3,3 millions de tonnes de CO2 après 150,000 km et 8 millions de tonnes de CO2 après 300,000 kilomètres. (Si on compare une voiture à essence compacte dont la consommation combinée ville-route est d’environ 7,5 L / 100 km VS une voiture électrique compacte comme une Nissan Leaf) Baisse prévue de GES de 100,000 VZÉ VS le REM Par ailleurs, si on compare le potentiel de réduction de GES de 100,000 véhicules électriques (entre 3,3 et 8 millions de tonnes éq. CO2 pour les VZE) VS le potentiel de réduction de GES d’un projet comme le REM (entre 16,800 et 25,000 tonnes éq. CO2 selon les scénarios pour le REM) on peut conclure que la Loi Zéro Émission (dont un des objectifs est d’accélérer l’atteinte de l’objectif de 100,000 Véhicules Zéro Émission sur les routes du Québec) contribuera à diminuer les GES entre 196 et 320 fois plus efficacement que le REM… pour un infime fraction du coût : 100 000 VZÉ X $8000 = $800 millions REM= $6000 millions ($6 milliards) Cela dit, le parc de véhicules de promenade en circulation au Québec étant en constante croissance, l’arrivée de 100,000 véhicules dits « Zéro Émission » sur les routes du Québec aura un effet marginal sur le bilan de GES du Québec à l’horizon 2020 car le nombre de véhicules légers a augmenté de 500,000 sur les routes du Québec entre 2010 et 2015 … dont plusieurs véhicules plus énergivores (VUS, pick-ups, minivans). L’augmentation de la proportion de véhicules électriques (l’objectif pour 2030 étant de 1 millions de VZÉ) sur les routes du Québec sera cependant beaucoup plus important en terme d’impact sur les GES dans 15 ans. La Loi Zéro Émission ne sera donc pas suffisante pour atteindre nos objectifs de réduction de GES de 2020 et de 2030. Il faudra d’autres mesures sérieuses pour diminuer nos GES telles que favoriser le transport collectif, le transport actif, le covoiturage, l’auto partage, le télétravail et des mesures spécifiques en ce qui a trait aux véhicules lourds dont les émissions de GES ont augmenté de 90,4% entre 1990 et 2014. Pourquoi le gouvernement doit-il intervenir et mettre en place une règlementation ? Le but de la Loi Zéro Émission est de contraindre les constructeurs automobiles à vendre un pourcentage croissant de véhicules zéro émission d’ici 2025. Dans le passé, le libre-marché et l’autorégulation ont lamentablement failli en matière de protection de l’environnement. Nous l’avons d’ailleurs vu à de nombreuses reprises au fil des décennies dans plusieurs secteurs, dont celui de l’automobile. Échec de l’autorégulation : Des années Reagan à aujourd’hui Suite à l’élection du président Reagan au début des années ’80, ce dernier a décidé de privilégier l’autorégulation des constructeurs automobiles en ce qui a trait à la consommation de leur véhicules légers, disant se fier sur le marché ainsi que la capacité d’innovation des constructeurs automobiles. Ainsi, il n’a pas renforcé les normes CAFE (Corporate Average Fuel Economy) et aucun président ne l’a fait jusqu’à l’arrivée du président Obama. Le résultat, que nous pouvons voir dans ce graphique, est éloquent :
Entre 1981 et 2003, soit sur une période de 22 ans, l’économie d’essence n’a varié que de 1% pendant que le poids moyen des véhicules augmentait de 24%, la puissance augmentait de 93% et l’accélération augmentait de 29%.
Et ce constat n’a pas changé jusqu’à la fin des années 2000, moment où l’administration Obama a imposé des normes de consommation plus sévères pour la première fois après plus de 30 ans d’inaction (8). Ces mesures pressaient car depuis 2016 le secteur des transports américain est celui où les émissions de GES sont les plus élevées (9), dépassant même les émissions de GES du secteur de la production d’électricité. Or, 2 jours à peine(!) après l’élection du président Trump, l’Alliance des Manufacturiers Automobiles (qui inclut la plupart des grands constructeurs) (10) a demandé au nouveau président de revoir les exigences de réduction de consommation et de GES pour l’horizon 2022 à 2025. Certains d’entre eux, voyant comment se comporte l’administration Trump, commencent d’ailleurs à le regretter. Ainsi,
Au moment où NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) nous apprend que 2016 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée en 137 ans de suivi et que celle-ci a été la 3e année consécutive de réchauffement climatique record (11), la Loi Zéro Émission est nécessaire et cette loi ne peut pas se permettre d’être complaisante envers les constructeurs automobiles. (P.S.: La loi Zéro Émission Californienne telle que mise en place il y a un quart de siècle visait d’abord la pollution atmosphérique et ses effets sur la santé. Nous y reviendrons dans le 4e texte.) Prochain texte : Les perturbations technologiques 1 : http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2016/11/582336e8a/questions-frequentes-deplacements-provoques-changement-catastrophes-climatiques.html 2 : https://ec.europa.eu/clima/policies/international/negotiations/paris_fr 3 : https://www.saic.gouv.qc.ca/relations-canadiennes/positions-historiques/motions/2007-11-28-kyoto-fr.pdf 4 : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/changementsclimatiques/plan-action-fonds-vert.asp 5 : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/changements/ges/2014/Inventaire1990-2014.pdf 6 : http://roulezelectrique.com/vehicules-legers-et-lourds-sur-nos-routes-des-chiffres-preoccupants/ 7 : http://www.hydroquebec.com/developpement-durable/centre-documentation/acv-vehicule-electrique.html 8 : https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2012/08/28/obama-administration-finalizes-historic-545-mpg-fuel-efficiency-standard 9 : http://www.uspirg.org/news/usp/new-federal-data-show-transportation-sector-now-largest-source-carbon-pollution-united 10 : http://www.detroitnews.com/story/business/autos/2016/11/10/cafe-standards/93603504/ 11 : https://www.ncei.noaa.gov/news/reporting-state-climate-2016
Auteur : Daniel Breton
Premier chroniqueur spécialisé en véhicules verts au Canada, Daniel Breton est aujourd’hui blogueur et consultant en matière d’énergie, d’environnement et d’électrification des transports. Sa carrière politique comme député à l'Assemblée nationale, puis comme ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs a été marquée par son implication envers l’environnement. C’est en tant qu’adjoint parlementaire de la première ministre du Québec qu’il a été responsable de la Stratégie d’électrification des transports. Daniel a été chroniqueur sur de nombreuses plateformes reconnues (journaux, télévision et sites Web) et a donné plusieurs conférences sur l’énergie et les transports verts. Mentionnons également qu’il a été conférencier invité au Bangladesh à l'occasion du Sommet de Copenhague, président fondateur du groupe Maîtres chez nous-21e siècle (MCN21) ainsi que coordonnateur et porte-parole de la Coalition Québec-Vert-Kyoto.
Commentaires
|