Le cartel pétrolier vit dans une faille temporelle, apparemment pas au courant que les politiques mondiales de l'énergie ont changé à jamais. L’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) reste défiante. La dépendance mondiale au pétrole et le gaz restera inchangée pour un autre quart de siècle. En 2040, les combustibles fossiles combleront encore jusqu'à 78% de l'énergie mondiale, à peine moins qu'aujourd'hui. Il n'y aura aucune percée technologique significative. Les rivaux seront réduits en poussière et auront simplement gaspillé leur argent. L'ordre actuel de l’énergie est préservé. Les émissions de GES continueront d’augmenter, balayant l’effet de l’accord solennel et contraignant par 190 pays lors du sommet de Paris sur le climat. S’ils ont un peu le sens de la planification, ils vont gérer leur production pour garantir les prix du brut de 70 $ à 80 $. Ils vont étirer leurs revenus assez longtemps pour contrôler leurs dépenses, et préparer leur population à une économie post-pétrole au lieu de se cramponner aux illusions du 20e siècle. Cheikh Ahmed Zaki Yamani, ancien ministre saoudien du Pétrole, avait prédit dans une entrevue avec le Telegraph il y a quinze ans que ce moment de vérité s’en venait et il a spécifiquement cité les technologies de la pile à combustible. « Dans trente ans à partir de maintenant, il y aura une énorme quantité de pétrole… et pas d'acheteurs. Le pétrole sera laissé dans le sol. L’âge de pierre s’est terminé non pas parce que nous avons manqué de pierres.». Ils ne l'ont pas écouté alors, et ils ne sont pas à l'écoute maintenant. Goldman estime que les économies d'échelle et la technologie feront diminuer le coût des batteries de 60% au cours des cinq prochaines années. L’autonomie elle, augmentera de 70%. Cette option est passablement en contradiction avec les prévisions de l'OPEP. Même ces prévisions pourraient bientôt être dépassées par d'autres percées scientifiques. Une équipe de chimistes de Cambridge affirme qu'elle a percé la technologie pour une batterie lithium-air ayant une efficacité de 90%, capable d'alimenter une voiture de Londres à Edimbourg (NDLR: environ 667 km par la route) sur une seule charge. Les coûts devraient être réduits de 80% et on pourrait la retrouver sur la route d’ici une décennie. Il y a maintenant une compétition mondiale pour remporter la course de la batterie. Le département américain de l'Énergie (US Department of Energy) finance un projet par les universités du Michigan, de Stanford et Chicago, de concert avec les laboratoires nationaux d'Argonne et de Lawrence Berkeley. L'Agence Japonaise de la science et de la technologie (Japan Science and Technology Agency) a son propre projet à Osaka. La Corée du Sud et la Chine se mobilisent avec leurs centres de recherche. Un resserrement réglementaire est en train de changer rapidement les règles de mondiale reliées à l’énergie. L’institut Grantham de la London School of Economics compte 800 politiques et de lois visant à réduire les émissions dans le monde entier. L’OPEP dit que les coûts des batteries pourraient diminuer de 30 à 50% au cours du prochaine quart de siècle, mais doute que cela sera suffisant pour faire beaucoup de différence, en raison de "la résistance des consommateurs". Le projet pilote de Beijing pour promouvoir les voitures électriques n’a pas donné les résultats escomptés - surtout parce que il n'y a pas encore suffisamment de bornes de recharge. Mais cela va changer bientôt avec le rationnement drastique des permis pour les voitures à essence. Alors que les gouvernements locaux sont au prises avec des problèmes majeurs de qualité de l’air («airpocalypse»), fort probable que si vous voulez une voiture dans le futur en Chine, elle devra être électrique. La compagnie «Geely Automobile» de la Chine vise à ce que ses ventes de voitures soient constituées à 90% de véhicule électrique d'ici à 2020. Bill Russo de la boîte «Gao Feng Advisory» à Shanghai, indique que la Chine est sur le point de « dépasser » le reste du monde et devenir l'épicentre de l'électrification. L'OPEP ne nie pas que les accords de Paris vont changer le paysage de l'énergie, mais elle considère que cela représente un problème strictement pour l'industrie du charbon. Il y aura un passage partiel du charbon au gaz naturel, un peu d’ajout de nucléaire et une contribution dérisoire de l’énergie éolienne et solaire. Leurs propres tableaux semblent montrer que le charbon, le gaz et le pétrole vont émettre ensemble 1200 gigatonnes de carbone d'ici 2040. Cela dépasse totalement le budget maximum de carbone jugé admissible par les scientifiques dans l’hypothèse où nous voulons arrêter la hausse des températures de plus de 2 degrés au-dessus des niveaux pré-industriels d'ici à 2100. Il va s’en dire qu’un tel niveau d’émission ne permettra pas d'atteindre l’objectif ambitieux de 1,5 degré convenu par les dirigeants du monde à Paris. Avec la stratégie actuelle de l'OPEP d'inonder le marché du brut pour éliminer ses rivaux, l'Arabie Saoudite croit qu'elle peut poursuivre comme si de rien n’était jusqu’au milieu du 21e siècle. Le rapport admet que ce pari se révèle être une aventure coûteuse. La production de pétrole plus difficile d’accès («tight oil») et le pétrole de schiste de l’Amérique du Nord n'a pas flanché - comme présumé dans les prévisions de l'an dernier - et l'OPEP s’attend maintenant à une légère augmentation de la production en 2016 pour 4,5 millions b/j, et encore à 4,7 millions en 2017. Ford vient d'annoncer qu'elle va investir 4,5 milliards $ (US) dans les voitures électriques et hybrides, avec 13 modèles qui seront en vente d’ici 2020. Volkswagen dévoilera le mois prochain une nouvelle voiture concept, qui promet une nouvelle ère en matière «d’électromobilité longue distance abordable». Le rapport de l'OPEP est tout aussi négatif sur la décision de Toyota de miser son avenir sur les voitures à hydrogène, en commençant par la Mirai qui sera vendue à perte pour développer le marché. On aurait pensé que la décision de la plus grande compagnie de voitures au monde, de mettre fin à toute production de voitures à essence ou diesel d'ici 2050, aurait un certain effet sur leur opinion, il semble que non. Goldman Sachs prévoit que les «véhicules connectés au réseau» atteindront 22% du marché mondial d'ici une décennie, avec des ventes de 25 millions de véhicules par an, et d'ici là, dit-il, les géants de l'automobile vont réfléchir à deux fois avant d'investir plus d'argent dans le moteur à combustion interne. Une fois que la masse critique est atteinte, il est facile d'imaginer un changement massif vers l'électrification au cours des années 2030. Entre-temps, les revenus de l'OPEP se sont écrasés, partant de 1,2 billion $ (10^12) en 2012 pour passer à environ 400 milliards $ à la fin 2015 au prix du Brent d'aujourd'hui (environ 36,75$). On peut imaginer les ajustements et douleurs fiscales de ces réductions de revenus. Cette politique a érodé la capacité de réserve mondiale à un très mince 1,5 M b/j, laissant le monde vulnérable en cas de choc futur. Elle implique un marché beaucoup plus volatile dans lequel les prix pourraient varier grandement, minant ainsi la confiance dans le pétrole comme une source fiable d'énergie. Plus cette politique de l’Arabie réussit, plus le monde adopteront des politiques visant à rompre la dépendance sur son seul produit. Des critiques internes à Riyad pestent contre cette stratégie, la qualifiant de suicide. L’Arabie saoudite et les États du Golfe sont chanceux. Ils ont été avertis à l'avance que l'OPEP fait face a un lent déclin. Le cartel a 25 ans pour se préparer à un nouvel ordre mondial qui nécessitera beaucoup moins de pétrole. «Les perspectives pétrolières mondiales» (OPEC’s World Oil Outlook) de l'OPEP publié il y a quelques jours est un document remarquable. Le message sous-jacent est que l'accord de COP21 est sans pertinence pour l'industrie pétrolière. Les engagements pris par les dirigeants mondiaux à modifier radicalement la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre avant 2040 - encore moins d'atteindre la "décarbonisation" totale d'ici 2070 - sont tout simplement ignorés. Goldman Sachs dit que le modèle à surveiller est la Norvège, où les véhicules électriques atteignent déjà 16,3% du marché. Le changement étant aidé par de nombreux incitatifs: exonération fiscale, l'utilisation de voies réservées, nombreuses stations de recharge, etc. La Californie suit. Elle a pour objectif d’avoir 22% de véhicules «connectés au réseau» en dedans de 10 ans. Les nouvelles voitures en Chine devront répondre à des normes d'émission de 5 litres aux 100 km d'ici 2020, encore plus strictes qu'en Europe. La demande mondiale de pétrole brut augmentera de 18 millions de barils par jour (b/j) pour passer à 110 millions d'ici 2040. Le cartel a diminué légèrement ses prévisions à long terme d’un million b/j, mais cela est dû en partie à la croissance économique plus faible. On est tenté de comparer cette myopie au proverbe «il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir». Le rapport de 407 pages balaie du revers de la main les véhicules électriques. La flotte mondiale de véhicules passera de 1 milliard à 2,1 milliards au cours des 25 prochaines années, atteignant 400 millions en Chine, et 94% fonctionnera toujours à l'essence ou diesel. "Sans une percée technologique, on ne s’attend pas à ce que les véhicules électriques à batterie (VÉB) gagnent des parts de marché dans un avenir prévisible," dit-il. Les voitures électriques coûtent trop cher. Leur autonomie est trop faible. Les batteries sont défectueuses dans le froid ou la chaleur.
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