Découragés par le nombre encore marginal de voitures électriques sur les routes, des propriétaires estiment que Québec doit forcer les constructeurs à vendre un quota annuel de véhicules électriques et hybrides. L’industrie automobile s’y oppose férocement et fait pression sur le gouvernement, qui reste vague sur ses réelles intentions. Raymond Brodeur est l’un des premiers propriétaires de Tesla au Québec. Séduit par cette technologie « révolutionnaire », il se fait un devoir de promouvoir les voitures électriques. « Les gens cultivent les mêmes fausses idées sur les véhicules électriques : c’est compliqué pour la recharge, ça n’a pas de réelle autonomie, c’est cher… Ce ne sont plus que des mythes ! », lance-t-il. Avec le tout récent système de recharge rapide entre Montréal et Québec, inauguré il y a à peine deux semaines, et les quelque 300 bornes disponibles au Québec, il est possible, selon M. Brodeur, de se déplacer facilement. « Et le circuit de bornes continue de se développer », ajoute-t-il. Mais au-delà des bornes de recharge, le problème réside souvent dans l’offre limitée de voitures électriques, qui ne comblent pas tous les goûts des automobilistes. « En réalité, il existe une cinquantaine de modèles dans le monde, comme des véhicules utilitaires sport et des voitures familiales », explique-t-il. Golf de Volkswagen, RAV4 de Toyota, Mercedes B200, Outlander de Mitsubishi, Soul de Kia, Fiat 500 de Chrysler, Dodge Caravan… Ces modèles existent en version électrique, mais ne sont simplement pas offerts ici. Politique insuffisante Le seul moyen d’avoir accès à tous ces modèles est de forcer les constructeurs automobiles à les offrir au moyen d’une loi zéro émission, affirme Sylvain Juteau, fondateur du site Roulezelectrique.com. La politique québécoise favorisant l’électrification des transports, qui offre de couvrir jusqu’à 8000 $ du prix d’achat d’un véhicule électrique, ne suffit pas selon lui. En vertu d’une loi zéro émission, les constructeurs automobiles sont tenus de vendre un nombre précis de véhicules « verts », à défaut de quoi ils se voient infliger des pénalités pouvant varier entre 10 000 $ et 15 000 $ par véhicule non vendu. Cette loi est de plus en plus populaire aux États-Unis, où neuf États l’ont adoptée, dont la Californie, New York et le New Hampshire. Au Vermont, 15 % des voitures vendues doivent être électriques. Volonté du gouvernement? « Dans les États où la loi zéro émission est en vigueur, on a observé que les manufacturiers, pour éviter de payer les pénalités, s’empressent de solliciter les concessionnaires pour offrir des voitures à zéro émission à des prix ridiculement bas », raconte M. Juteau. En Californie, où il est de passage, des Nissan Leaf ont ainsi été offertes en location à un prix mensuel de 199 $. De plus, l’expert automobile soutient que la loi permettrait de réduire les délais d’attente pour prendre possession d’une voiture électrique, ce qui peut prendre jusqu’à six mois actuellement au Québec. Difficile de savoir si le gouvernement Couillard considère sérieusement l’adoption d’une loi zéro émission. Cet été, le ministre de l’Environnement, David Heurtel, avait laissé entendre qu’il était favorable à une telle loi. Mais questionné sur le sujet par Le Devoir, le ministre a refusé de confirmer de nouveau sa position. « L’introduction d’une norme ZEV [Zero Emission Vehicule] fera l’objet d’une analyse rigoureuse au cours de la prochaine année », s’est contentée de répondre par courriel son attachée de presse, Marie Julie Couturier. Interrogé sur le même sujet au moment de l’inauguration de la première borne de recharge rapide, à la fin septembre, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Arcand, a pour sa part déclaré qu’il faut « analyser les détails d’un tel projet ». Enfin, le ministre des Transports, Robert Poëti, est celui qui a démontré une plus grande réticence. En marge du colloque de l’Association du transport urbain du Québec, jeudi dernier, il s’est dit en faveur d’une augmentation de l’utilisation de véhicules électriques, mais pour ce qui est d’une loi zéro émission, il considère que« les constructeurs automobiles ont déjà fait beaucoup ». L’industrie automobile sur ses gardes Bien que légèrement rassurée par les propos du ministre Poëti, la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Québec (CCAQ) demeure sur ses gardes. « Le gros problème avec cette loi, c’est qu’elle oblige les manufacturiers à distribuer un certain nombre de voitures, mais au final ce sont les concessionnaires qui vont payer », déplore Jacques Béchard, président- directeur général de la CCAQ. Ce dernier rappelle que, dès qu’un véhicule sort d’une usine automobile, c’est au concessionnaire de le payer. De plus, le porte-parole de l’industrie précise que plusieurs modèles de voitures électriques seront bientôt disponibles au Québec, dont la Golf et la Subaru Outback. « L’offre va être là, c’est une question de temps », assure-t-il. M. Béchard, qui représente 840 concessionnaires, indique que la « demande réelle en véhicules électriques et hybrides » n’est pas connue et, de fait, plusieurs de ses membres risquent de se retrouver à vendre des voitures à perte si une loi zéro émission entre en vigueur. De plus, certains constructeurs, comme Mazda et Hyundai, n’offrent aucun véhicule électrique, se concentrant sur des technologies « visant à améliorer la performance des moteurs traditionnels ». Le p.-d.g. se dit inquiet des amendes que ces constructeurs automobiles pourraient être appelés à payer. « Nous avons fait une demande pour rencontrer le ministre des Transports et nous l’informerons de nos inquiétudes », relate-t-il. Le courage d’agir « Nous avons régulièrement rencontré les constructeurs automobiles, certains sont plus ouverts à améliorer leur offre, mais d’autres sont tout simplement récalcitrants, il faut un courage politique », lance Simon-Pierre Rioux, président de l’Association des véhicules électriques du Québec. Ce dernier n’est toutefois pas surpris de voir les ministères tergiverser au sujet d’une loi zéro émission. « Le lobby pétrolier et automobile est fort », admet-il. « C’est dommage, car en pleine période d’austérité, une telle loi ne coûterait rien et pourrait même rapporter de l’argent à l’État », clame-t-il. Source: Le Devoir
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