![]() Les partisans de la voiture électrique (VE) veulent faire contrepoids au lobby automobile. Les constructeurs refusent d’offrir tous les modèles de VE, comme l’e-Golf et la Honda Fit, font-ils valoir, et Québec doit les forcer par une loi. Tandis que le gouvernement Couillard se prononcera bientôt sur le sujet, la bataille des lobbys s’intensifie. « Nous savons que les lobbyistes du milieu automobile et pétrolier sont nombreux et bien organisés, il faut faire comme eux, si on veut être écoutés », lance sans détour Yvon Bergeron, porte-parole de la nouvelle Coalition zéro émission Québec (CZEQ). Le nom de la coalition fait référence aux lois « zéro émission de gaz à effet de serre », adoptées par plus de dix États américains, qui obligent les constructeurs automobiles à vendre un quota annuel de véhicules électriques et hybrides, sous peine de pénalités financières élevées. Au Vermont, par exemple, 15 % des voitures vendues doivent être électriques, à défaut de quoi les constructeurs se voient infliger des amendes pouvant varier entre 10 000 $ et 15 000 $ par véhicule non vendu. Formée au début du mois, la CZEQ regroupe une dizaine d’organismes, dont la Fondation David Suzuki, Nature Québec, le Club Tesla Québec et le Centre québécois du droit de l’environnement. Leur première sortie publique aura lieu cette semaine, a-t-on indiqué au Devoir, et son objectif est clair : répliquer à l’industrie automobile, qui s’oppose férocement à ce que Québec adopte une loi zéro émission. « On le voit chez nos voisins américains, l’adoption de cette loi permet d’avoir accès à une diversité de modèles de voitures électriques, et les prix sont souvent très concurrentiels », observe M. Bergeron, aussi membre du conseil d’administration de l’Association des véhicules électriques du Québec. Pour le moment, plusieurs modèles ne sont disponibles que là où il y a une loi zéro émission : Chevrolet Spark, Volkswagen e-Golf, Mercedes B200 ED, Honda Fit EV, etc. De plus, une loi zéro émission participerait à diminuer les délais d’attente lors de l’achat d’un VE. « J’ai commandé une Kia Soul électrique en septembre, je ne l’ai toujours pas reçue, c’est insensé », déplore M. Bergeron. L’achat d’une voiture est souvent un geste impulsif et émotif, poursuit-il, « si on veut donner une chance aux modèles électriques d’attirer les acheteurs », ils doivent être aussi disponibles et diversifiés que les modèles à essence. Dans l’espoir de motiver le gouvernement à passer à l’action, les députés péquistes Martine Ouellet et Sylvain Gaudreault ont déposé un projet de loi zéro émission le 15 avril dernier. Dès le lendemain, les constructeurs et concessionnaires automobiles clamaient haut et fort leur opposition. ![]() Le modèle norvégien « Que ce soit clair, nous ne sommes pas contre les voitures électriques, notre industrie investit des milliards de dollars pour développer ces nouvelles technologies », déclare Mark Nantais, président de l’Association canadienne des constructeurs de véhicules, qui représente les filiales canadiennes de FCA (Fiat Chrysler), Ford et General Motors. Il affirme toutefois qu’une loi zéro émission aurait un impact négatif sur les concessionnaires, notamment, qui seraient obligés d’avoir en stock des centaines de voitures supplémentaires, ce qui peut être « très coûteux ». De plus, il admet que les constructeurs automobiles améliorent leur capacité de production de VE, mais elle reste plus « limitée et complexe » que celle à essence. « Nous ne croyons pas qu’en nous forçant à produire et à vendre des voitures électriques, les gens vont nécessairement plus en acheter. La clé c’est l’éducation aux consommateurs et les incitatifs gouvernementaux », ajoute M. Nantais. »»» Lire L'association canadienne de l'automobile réagit rapidement au projet de loi 'Zéro émission' et se prononce en désaccord Dans son communiqué de presse répliquant au projet de loi péquiste, l’industrie automobile prêche même pour le modèle adopté par la Norvège, le pays détenant la plus grande flotte de VE par habitant au monde. Le secret norvégien ? « Pas de loi zéro émission, mais de généreux incitatifs financiers à l’achat d’une VE, accès aux voies réservées, péage et traversier gratuits, stationnement gratuit, bornes de recharge gratuites », répond M. Nantais. Il précise toutefois qu’un seul « détail » du modèle scandinave ne lui plaît pas : une gigantesque taxe de vente imposée à l’achat d’une voiture à essence qui équivaut au prix du véhicule. Une mesure qui a certainement motivé bon nombre de Norvégiens à se tourner vers l’électrique… « Déjà, les Québécois payent plusieurs taxes de vente et, en plus, toutes les familles vivant dans des régions plus éloignées et les entrepreneurs ayant besoin de gros véhicules seraient pénalisés », avance-t-il. La députée Martine Ouellet est allée en Norvège l’an dernier, et elle se dit convaincue que la taxe de vente imposée aux véhicules à essence a participé au succès des VE. Elle croit toutefois que Québec devrait favoriser une loi zéro émission, comme l’a fait il y a 25 ans la Californie, qui a vu le taux de pénétration des VE explosé sur son marché. « Les ventes de véhicules électriques représentent à peine 0,5 % de l’ensemble des ventes de voitures au Québec, on avance à pas de tortue. Avec une loi zéro émission, mon équipe a calculé qu’on pourrait grimper à 11 % dès 2019 », déclare-t-elle. Cela se traduirait par l’achat de 47 000 voitures électriques. Mme Ouellet, ex-ministre des Ressources naturelles, connaît la capacité de persuasion du lobby automobile. « La force d’un lobby, c’est la force que lui donnent ceux qui l’écoutent. Rien de plus, rien de moins », rappelle-t-elle. Même si les élus font l’objet de sollicitations persistantes, ils doivent à la fin de la journée « prendre une décision en fonction du bien commun ». ![]() Gouvernement hésitant Difficile de savoir si le gouvernement Couillard considère sérieusement l’adoption d’une loi zéro émission. Questionné récemment sur le sujet lors de la journée « Branchez-vous », sur le circuit Gilles-Villeneuve, le ministre des Transports, Robert Poëti, s’est dit peu motivé par un modèle axé sur les punitions, préférant ajouter de nouveaux privilèges pour les propriétaires de VE, tels que l’accès à toutes les voies réservées de la province. Une annonce est prévue en juin. Le ministre de l’Environnement, David Heurtel, avait laissé entendre qu’il était favorable à une telle loi l’été dernier, mais depuis, il refuse de confirmer à nouveau sa position. « La possibilité de mettre en place une [telle] norme l’objet d’une analyse rigoureuse », s’est contenté de répondre son attaché de presse, Guillaume Bérubé. « Une loi zéro émission ne coûterait rien au gouvernement et elle ne peut qu’avoir des effets positifs… Je comprends mal toute cette tergiversation », soupire Sylvain Castonguay, directeur innovations à l’Institut du véhicule innovant. Si le lobby automobile n’est pas la seule cause pouvant expliquer le peu de motivation des ministres envers une loi zéro émission, la taxe à l’essence l’est peut-être, spécule l’ingénieur. « Il est vrai que la taxe sur l’essence rapporte gros à l’État, mais si on vendait beaucoup de voitures électriques, on pourrait [à terme] les taxer… et du même coup, s’enrichir tout en diminuant notre pollution », conclut-il. Source: Le Devoir - Daphné Hacker-B
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