Le calcul électrique [La Presse+]

Paru dans La Presse+ Affaires du weekend

Que se passerait-il si, comme la Norvège, le Québec prenait résolument le virage de la voiture électrique ? Dragon, entrepreneur multiple et membre d’Anges-Québec, Serge Beauchemin fait quelques estimations de son cru:

Je suis un entrepreneur, pas un économiste. Lorsqu’il s’agit de prendre des décisions d’affaires, j’aime bien l’arithmétique élémentaire. Un peu de curiosité, de logique et d’observation suffit souvent à ramener à quelques chiffres des questions qui semblent parfois un peu complexes. Ça rend la décision plus rapide à prendre et, surtout, entraîne l’entrepreneur là où il est le plus à l’aise : dans l’action !

Il existe d’ailleurs une expression pour ce genre de calcul : une estimation de Fermi, du nom du grand physicien italien Enrico Fermi. Il était reconnu pour sa capacité à faire des approximations étonnamment exactes sur la base d’hypothèses raisonnables. Les anglophones les appellent aussi « calculs sur endos d’enveloppes ».

Alors, faisons un peu d’arithmétique ensemble – ou une estimation de Fermi, si vous préférez – pour voir où ça peut nous mener…

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PETIT CALCUL
Voici un premier chiffre : 1,50 $.
C’est le prix au litre que l’essence a atteint et même dépassé, cette semaine. Et voici une première hypothèse : nous pourrions facilement postuler que ce prix constituera la moyenne pour l’année en cours. Si nous évaluons la consommation moyenne d’une voiture à 10 L par tranche de 100 km, c’est donc 15 cents d’essence que coûtera chacun des kilomètres parcourus au Québec en 2014.

En fouillant sur l’internet, j’ai appris qu’il y a près de 5 millions de véhicules immatriculés au Québec. En estimant que chacun fait en moyenne 20 000 km par année sur notre territoire, nous pouvons déduire que plus de 100 milliards de kilomètres sont franchis chaque année. À raison de 15 cents le kilomètre, c’est 15 milliards de dollars en pétrole qui se dissipent dans les airs.

Parlant d’air, une voiture à essence émet au minimum quatre tonnes métriques de CO2 par année dans l’atmosphère. Au Québec, les automobiles produisent donc au moins 20 millions de tonnes métriques de CO2 par année. Assez pour intoxiquer pas mal de monde !

Rappelons au passage que notre Hydro-Québec accumulera des surplus d’énergie pendant de nombreuses années encore, alors que nous importons notre pétrole au prix fort.

COMPARAISON
Maintenant, comparons le Québec à la Norvège. Tous deux jouissent (devrais-je plutôt dire subissent ?) de climats semblables, mais le Québec affiche une population beaucoup plus nombreuse. Tous deux produisent la majeure partie de leur électricité avec des barrages hydroélectriques. Par contre, tout comme l’ensemble des Européens et des Américains, les Norvégiens paient leur électricité 70 % plus cher que les Québécois, soit plus de 12 cents le kilowattheure contre 7 cents au Québec.

En mars dernier, la Norvège est devenue le premier pays du monde dont 1 % du parc de véhicules immatriculés est électrique. Les véhicules électriques (VE) constituaient 5,6 % des ventes de véhicules neufs en 2013 et ce pourcentage est passé à 14,5 % au premier trimestre 2014 ! Les ventes de Tesla ont même battu un record vieux de 28 ans, pour le plus grand nombre de ventes d’un même modèle de véhicule en un mois. En effet, 1493 Model S ont trouvé preneur en mars dernier, alors que 1454 Ford Sierra avaient été vendues en mai 1986.

Malgré le fait que le Québec possède plus de la moitié du parc de VE au Canada, la Belle (mais frileuse) Province est bien loin derrière la Norvège. Si 1 % de notre parc automobile était électrique, ce sont 50 000 VE qui circuleraient sur nos routes plutôt que les quelque 3000 actuellement. Et comme ce type de véhicule coûte de huit à dix fois moins cher en électricité qu’en pétrole, c’est plus de 135 millions de dollars qui seraient réinvestis chaque année dans l’économie ou en épargnes par ces propriétaires automobiles. Sans parler des autres frais épargnés relatifs à l’entretien d’une voiture à essence et les quelque 200 000 tonnes de CO2 qui ne seraient plus émises dans l’atmosphère.

La Norvège a réussi ce virage en se fixant des objectifs ambitieux et, surtout, en passant à l’action par la mise en place de sérieux programmes incitatifs. Objectif : 2 % de son parc automobile en VE d’ici 2018. Pour y arriver : élimination de tous les frais non récurrents liés à l’achat d’un VE, notamment toutes les taxes de vente et les frais liés aux immatriculations. Accès gratuit à toutes les autoroutes et ponts à péage, aux traversiers et à tous les espaces de stationnement publics. Droit de circuler dans toutes les voies réservées aux transports en commun.

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UN PEU D’IMAGINATION
Et maintenant, imaginez le Québec d’aujourd’hui avec un bassin potentiel de 50 000 acheteurs de VE.

Si on atteignait la proportion norvégienne de 5 % des véhicules neufs, 12 000 des 240 000 automobiles vendues chaque année au Québec seraient des véhicules électriques, soit 1000 nouveaux propriétaires de VE tous les mois.

Tâtez les 135 millions de dollars par année qui seraient détournés du pétrole vers d’autres besoins. Entrevoyez les nouveaux produits et services que l’on peut offrir à cette clientèle écosensible sans cesse croissante. Sentez l’air de moins en moins pollué de nos banlieues.

Il n’y a pas de raison pour que le Québec soit différent de la Norvège à cet égard. Il faut poursuivre les efforts des gouvernements précédents en matière d’électrification des transports. Il faut se doter d’une loi zéro-émission pour forcer les constructeurs automobiles à élargir leur offre à la population. Il faut multiplier les encouragements aux premiers qui osent faire ce virage.

Certes, parfois l’arithmétique élémentaire mène à des conclusions rapides qui peuvent être jugées superficielles. Mais, c’est bien connu, l’entrepreneur aime le risque et préfère l’action à l’analyse rigoureuse, plus précise, mais lente. Je suis donc passé à l’action et, tout comme plus d’une centaine de Québécois chaque mois, j’ai fait le « saut électrique ». Souhaitons maintenant que le nouveau gouvernement demeure lui aussi dans l’action et multiplie (simple opération arithmétique) les initiatives vers l’électrification des transports.

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