Ce n’était ni l’étape la plus longue, ni la plus difficile, encore moins la plus spectaculaire. Pourtant, c’est bien ce dix-septième et dernier vol qui restera dans l’histoire, celui dont le monde se souviendra. Mardi 26 juillet, l’avion solaire Solar Impulse 2 a bouclé le premier tour du monde aérien – près de 40 000 kilomètres – sans la moindre goutte de carburant. Parti du Caire en Egypte samedi, le pilote Bertrand Piccard est arrivé à l’aéroport Al-Bateen d’Abou Dhabi, aux Emirats Arabes Unis, vers 4 heures mardi, après quarante-huit heures de vol. C’est de ce même tarmac que son partenaire, André Borschberg, s’était élancé lors de la première étape, en mars 2015. Alors que les organisateurs peinaient à contenir la horde de journalistes et de caméramen qui se rapprochaient dangereusement de la piste, Solar Impulse 2 a entamé son approche finale pour se poser avec la légèreté d’une plume, dans un silence à peine rompu, quelques secondes avant que ses roues touchent le sol, par les couinements de ses hélices. « Plus qu’un exploit dans l’histoire de l’aviation, c’est un exploit dans l’histoire des énergies renouvelables, a déclaré Bertrand Piccard en débarquant de l’aéronef. C’est maintenant à votre tour d’aller plus loin ! » Dans la plus pure tradition des grands explorateurs Avec 2 694 kilomètres parcourus, l’ultime étape fait pourtant pâle figure devant les quelque 8 900 km avalés par André Borschberg entre Nagoya, au Japon, et Hawaii, en cinq jours et cinq nuits, établissant le record du plus long vol en solitaire sans ravitaillement et sans escale. Ou encore les 6 300 km de traversée de l’Atlantique entre New York et Séville, reliées en trois jours… Mais le dernier saut de puce, entre Le Caire et Abou Dhabi, n’était pas gagné d’avance pour autant. Les conditions météorologiques avaient conduit l’équipe à reporter le décollage, notamment en raison de températures extrêmes approchant la limite supportable pour l’appareil. Manque d’intérêt des sponsors, méfiance voire défiance vis-à-vis du projet… Les débuts de l’aventure s’inscrivent dans la plus pure tradition des grands explorateurs. L’idée d’un avion solaire germe en 2003 dans l’esprit de Bertrand Piccard, psychiatre et aérostier dans le canton de Vaud, en Suisse, et une première maquette est réalisée un an plus tard. Mais, face à des difficultés de financement, il faut attendre 2009 pour que la première version de Solar Impulse soit construite. Et quelques mois de plus pour démontrer que l’avion peut voler. Deux ans plus tard, Solar Impulse traverse la Méditerranée ; Bertrand Piccard pense déjà à une version améliorée capable de faire le tour du monde avec le soleil pour seul carburant. Solar Impulse 2 est mis en chantier début 2014 et effectue son premier vol en juin.
Le 9 mars 2015, il entame son tour du monde avec escales. Les deux pilotes suisses se relaient dans le cockpit minuscule. Chaque étape est une lourde épreuve physique et psychologique : sommeil fragmenté, solitude, yoga pratiqué dans l’espace réduit du poste de pilotage comme seul moyen de maintenir le corps fonctionnel… Performance pionnière hors du commun Et maintenant ? Au-delà de cette performance pionnière et hors du commun, il est encore tôt pour esquisser le véritable héritage légué par Solar Impulse. Mais Bertrand Piccard et André Borschberg en sont persuadés : ce n’est que le début. Ils en veulent pour preuve la récente création par leurs soins du Comité international pour les technologies propres (ICCT). Le but de cette organisation est de fédérer un maximum d’organisations environnementales, d’entreprises et d’associations, capables de parler d’une seule voix et d’avoir ainsi plus de poids et d’impact au niveau politique. Selon Bertrand Piccard, plus de 400 structures ont déjà répondu présent. Mais ce n’est pas tout. André Borschberg compte bien capitaliser sur l’expérience et le savoir-faire acquis par son équipe pour se lancer dans des projets industriels. Il vise la conception d’une nouvelle génération de drones solaires stratosphériques capables de faire le travail de satellites spatiaux, mais à un moindre coût et avec une résolution spatio-temporelle plus importante. « On touche au but de faire voler un engin six mois, assez haut [environ 20 km] pour survoler le transport aérien, et tel qu’il puisse porter une charge assez lourde pour faire de la communication par exemple », confiait André Borschberg en janvier 2015. Des géants tels qu’Airbus ou, plus inattendus, Facebook qui vient de tester avec succès son prototype de drone solaire, sont déjà sur le créneau. Et l’aviation dans tout ça ? Bien que les vols long-courriers demeurent loin de troquer le kérosène pour les rayons du soleil, Bertrand Piccard parie que d’ici dix ans, nous aurons des avions électriques embarquant une cinquantaine de passagers pour des vols courts et moyens courriers, écrit-il sur son blog. La prédiction peut faire sourire. Mais n’en était-il pas de même il y a à peine quinze ans lorsqu’il prophétisait faire le tour du monde avec un avion qui n’existait alors que de son imagination ? « Il n’y a qu’une seule façon d’échouer, c’est de ne pas essayer », dit Bertrand Piccard. Source : Le Monde.fr Contribution : Martin Archambault
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